Filename: veille.txt Author: oosh Keywords: FF,lesbian,transcendental Language: French, français Title: Dernière veillée d'armes --- [Conte dédié à la gloire de France et à celle de sa patronne; traduit par old.fox@vt4.net, rédaction par iago_72@yahoo.com, auxquels mes remerciements les plus profonds. Tout erreur qui reste est le mien - notifiez-moi et je ferai la correction tout de suite! - O.] Dernière Veillée d'Armes - février, 2002 - Mon Dieu! Que tu m'as fait peur! Mon entrée soudaine l'avait effrayée. - Je suis désolée... j'ai été envoyée... Je ne savais pas comment lui expliquer. Elle se leva alors en frottant ses poignets meurtris. Je savais qu'elle avait été enfermée un certain temps dans un cachot, qu'on l'avait attachée par le cou, les pieds et les mains de sorte qu'elle ne puisse plus bouger. Elle fut immobilisée pendant plusieurs mois avec de lourdes chaînes. Mais ceci était sa dernière nuit, et même ses juges savaient qu'elle était inéluctablement résignée à son sort. Il était clair qu'elle avait gagné le respect de ses geôliers, malgré eux. Non seulement les menottes avaient été enlevées: une cotte de maille, symbole de son ultime défi à l'Anglais honni, lui pesait lourdement sur ses épaules. Sans doute prêtée par l'un des gardes, elle était beaucoup trop grande pour elle, et portait attention à sa très petite taille. Pourtant, cette poupée minuscule, cette jeune paysanne trapue et toute en muscle avait non seulement semé la terreur chez les usurpateurs anglais grâce à son génie guerrier: cette pucelle inculte et illettrée des campagnes avait enduré pendant des mois les interrogatoires de soixante ecclésiastiques des plus retors et répondu sans peur, avec honnêteté, avec une provocation allègre et sûre d'elle-même. Elle n'avait fléchi qu'une fois – une fois seulement – sous leurs intimidations sans pitié. Je la regardai avec émerveillement, et elle aussi semblait prise d'admiration pour moi. - Tu ...Tu es descendue des cieux. J'en suis sûre... - Pourquoi dis-tu cela? Nous sommes tous venus des cieux. Elle fronça les sourcils. - Non ... non... non pas tous. - Tu veux parler de Cauchon? Elle releva la tête d'un air méprisant. - Ah! Cochon! Je me mis à rire, mais elle semblait confuse et se frappa la paume du poing. - Je n'aurais pas dû dire cela. C'est un péché. - Sa malveillance t'amène au péché. Malgré toute l'autorité dont il jouit, Cauchon n'est qu'un esclave de ce bas-monde et de ses tentations. A l'heure qu'il est, il est à son pupitre en train de décrire par le menu ce qui le convainc de tes pratiques de sorcellerie et de magie noire. Alors qu'il cherche à se justifier devant roi, synode, pape et concile, le destin fera de ses paroles l'instrument de sa propre condamnation. - Je n'ai que faire de leur jugement. Sainte Catherine m'a déjà révélé ce qui adviendra de lui et de ses complices. L'évocation de ce souvenir la fit trembler. - Je ne crains plus pour ma personne, dit-elle, mais pour la leur. - L'histoire le condamnera et chantera tes louanges. Il en sera de même, dans ce monde comme dans l'autre. Son regard se fit plus sombre. - Je te l'ai dit: je ne me soucie aucunement du jugement de ce monde. - Aucunement? De quoi te soucies-tu alors? - Je n'ai que trois souhaits: d'abord ma propre délivrance, ensuite que Dieu achève ma tâche, et enfin le salut de mon âme. Elle se dressa de toute sa petite taille, tellement obstinée dans sa lourde cotte de maille, les jambes solidement plantées au sol, les poings serrés comme si elle était prête à se battre avec quiconque mettrait ses paroles en doute; pourtant, elle semblait avoir peur de poser les yeux sur moi. - D'abord, en ce qui concerne ton premier vœu, Pucelle, connais-tu déjà la voie de ta propre délivrance? Elle resta silencieuse pendant un moment; puis elle décroisa les bras et ouvrit les mains dans un haussement d'épaule expressif. - Mes voix m'ont parlé... mais leurs propos sont obscurs. - Et qu'est-ce qu'elles t'ont dit? - Que mon âme serait délivrée... Elle baissa les yeux et murmura: - ...mais que mon corps ne le serait pas. - Est-ce là tout ce qu'elles t'ont dit? - Non. Elles m'ont aussi dit que je ne devais pas avoir peur. Elles me l'ont répété sans cesse. Elles m'ont dit d'avoir confiance en Dieu. - Et Lui fais-tu confiance? Elle serra à nouveau les poings. - Tous les hommes sont des menteurs. Dieu seul est digne de confiance! Elle me lança alors un regard perçant et je la regardai dans les yeux. - Pucelle, tu dis la vérité. Tu éprouveras de la douleur, mais elle sera moindre que celle que t'a occasionnée cette flèche à Orléans. - Ce n'était rien! Je ne l'ai à peine sentie. - Moindre que celle que tu as ressentie à Paris ou lors de cette chute à Beaurevoir. - Je ... Elle s'apprêtait à m'interrompre mais d'un geste je lui enjoignis le silence. - La souffrance ne sera même pas celle que ta mère Isabelle a endurée quand elle t'a mise au monde. Et par amour pour toi, elle revivrait avec joie encore dix fois cette souffrance. Les yeux baissés, elle hocha lentement la tête. - Mais ...comment sais-tu cela? - Et maintenant, en ce qui concerne ton second souhait, que Dieu aide la France. Sache que les flammes qui s'allumeront demain sur la place du marché brûleront dans le cœur de tous les Français jusqu'à ce que les Anglais soient enfin boutés hors de toute France. À ces mots elle éclata de rire et applaudit. - Je le sais. Dieu me l'a dit. À nouveau elle me regarda et à nouveau je perçus une lumière intérieure. Je continuai: - Mais il y a plus, bien plus que cela. Le feu qui sera allumé demain brûlera à travers le monde entier et ne s'éteindra jamais. - A travers le monde entier? Je ne comprends pas... - Toute femme quelle qu'elle soit qui entendra parler de tes actes ou apprendra ton courage, qu'elle soit jeune ou vieille, Française ou – oui, même Anglaise, sentira dans sa poitrine ce feu renaître à nouveau; et chacune sera fière d'être Femme après toi. Elle baissa la tête, touchée par ces paroles. - Mais j'ai échoué. J'ai failli à ma tâche plusieurs fois... - Et cela nous amène à ton troisième vœu: le salut de ton âme. Oui, tu as failli. Tu as failli à Beaurevoir et tu l'as fait à nouveau jeudi dernier. - Oui, cette fois là en particulier. J'avais peur du feu. Je me suis damnée moi-même pour sauver ma vie. Mais c'était une faute que je peux racheter... et je le ferai demain. - Le Seigneur qui connaît toute chose, sait très bien que la croix que tu portes pour Lui et pour la France est un lourd fardeau. N'oublies pas qu'il est Lui-même tombé trois fois sur le chemin du Golgotha. - Et Lui au moins avait Simon de Cyrène pour l'aider. - C'est pourquoi je suis ici. Tu n'as pas été abandonnée. Rappelle-toi combien de fois tu as prié tes gardiens pour qu'une femme puisse être à tes côtés. - Alors, ce sont eux qui t'ont envoyée ici? Elle regarda vers moi une troisième fois, d'un air méfiant d'abord; puis je vis sa lumière intérieure reparaître. - Non, cela ne peut pas être, murmura-t-elle en me regardant dans les yeux pendant que je regardais dans les siens. — Tu ne me parles pas comme si tu étais envoyée par eux. Et tu es belle. Alors je m'agenouillai devant elle, je saisis le bord de sa cotte de maille et l'embrassai. - Ma beauté, c'est à toi que je la dois, Jeanne. Elle recula. - Pourquoi fais-tu cela? - Demain, cette cotte de maille sera déchirée en morceaux, et chaque morceau divisé en une douzaine de fragments et chacun d'eux sera considéré comme une précieuse relique qui sera embrassée sans fin par les fidèles fils et filles de la France. - Comment...? - Simplement parce que tu l'as portée, Jeanne. Mais maintenant il est temps de l'enlever, car c'est dans un vêtement de femme que tu dois livrer ta dernière bataille: cette nuit tu t'allongeras avec moi. À ces mots je vis à nouveau une lumière poindre dans ses yeux: la lumière de la tendresse. - Qui es-tu? Quel est ton nom? - Il ne m'est pas encore permis de te le dire: pas avant de t'avoir embrassé trois fois. Et quand tu sauras qui je suis vraiment, il nous faudra nous séparer. Pour ce qui est de mon nom: ceux qui m'aiment m'appellent Marianne.